La Seconde avant-garde
A Orsay, il vous a été présenté les avant-gardistes précurseurs et "historiques", voici maintenant, une ouverture sur ce qui est appelé la Seconde avant-garde.
La barbarie de la Première Guerre mondiale marque pour les artistes une impasse : peu d’entre eux parviennent à
évoquer l’horreur des tranchées, et de cette frustration naît une forme d’art
qui se désolidarise du réel et qui permit, au cours de l’entre-deux guerre,
l’émergence d’une nouvelle avant-garde, succédant à l’avant-garde historique
exposée précédemment (I).
Toutefois, au-delà des arts plastiques celle-ci embrassera tous les « matériaux »
artistiques, particulièrement celui de la littérature. En effet, la rupture
nécessaire afin d’exprimer le nouvel ordre moral, apparu au 20ème
siècle, ne pouvait se restreindre aux seuls arts graphiques, caractérisant
ainsi l’avant-garde contemporaine post-1945 (II).
I. L’avant-garde dans l’entre-deux guerres
C’est au début des années 1920 qu’émergea le surréalisme qui est un
mouvement artistique qu' André Breton
définit dans le Manifeste du
Surréalisme comme un « automatisme
psychique pur, par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par
écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée
de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de
toute préoccupation esthétique ou morale. ».
Dès lors, un certain parallélisme avec l’art abstrait qui venait de voir
le jour 10 ans auparavant, juste avant la Guerre de 1914, est inévitable.
En effet, Le peintre Wassily
Kandinsky, considéré comme le fondateur de l'art abstrait, rédigea Du Spirituel dans l’art, dans
lequel il souligna que l’abstraction résulte d’une « nécessité intérieure », de sorte que selon le philosophe Michel Henry,
« Kandinsky
appelle abstrait le contenu que la peinture doit exprimer, soit cette vie
invisible que nous sommes. »
Surréalisme et art abstrait ne découleraient donc que d’une seule
source : le monde intérieur de l’artiste. C’est ce que semble affirmer
André Breton dans son Manifeste de 1924, voyant en l’art un rôle de « révélateur de l’inconscient ».
Dès lors, tout peut devenir art, si l'artiste le décide, l'artiste étant libéré
de tout stéréotype social ou esthétique. « S'il
faut en finir avec l'art figuratif, s'il faut cesser d'imiter la nature, c'est
pour être enfin pleinement en mesure d'exprimer la subjectivité », écrit
Luc Ferry
à propos de Kandinsky. La question qui se pose alors
est : pourquoi ce repli de l’artiste, cet éloignement de la réalité
physique de la vie ?
Sans nul doute, il s’est cristallisé dans l’imaginaire des artistes la
nécessité d’atteindre un autre stade de l’art, l’abstraction, afin de quitter
le monde sensible, meurtrier, que le 20ème siècle, par ses atrocités
a déshumanisé, afin d’atteindre le monde intelligible. Ainsi, en hissant l’art
à ce niveau, il s’agissait de rehausser l’Humanité.
II. L’avant-garde contemporaine
Au tournant de la seconde
moitié du 20ème siècle, les héritiers de certains courants
historiques perpétuent le mouvement avant-gardiste (lettrisme, Internationale situationniste,
mouvement Fluxus, expressionnisme abstrait) dont les objectifs participent
notamment de la remise en question de la notion d’œuvre d’art. Que ce soit en
musique, en art plastique ou encore en littérature, les avant-gardes historiques
ont très nettement participé à une remise en question du matériau utilisé pour
la création, et à une mise à plat de la conception formelle des œuvres. Comment
se réalise concrètement cette modernité dans l’avant-garde d’après 1945 ?
Le lettrisme est un mouvement né en 1945 lors de l'arrivée en France d'Isidore Isou.
Le lettrisme s'attache, au départ, à la poétique des sons, des onomatopées, à
la musique des lettres, disposées d'une façon
Mais
le lettrisme se définira par la suite comme un mouvement culturel basé sur la
novation dans toutes les disciplines du savoir, des arts. Le lettrisme, est,
avec l'Oulipo
(acronyme
d'« ouvroir de littérature potentielle », l'Oulipo est une
association fondée en 1960
par l'écrivain et poète Raymond Queneau et le mathématicien François Le Lionnais) l'un des principaux
mouvements d'avant-garde contemporain depuis le surréalisme.
De part sa qualité
d'avant-garde, le mouvement lettriste a anticipé ou influencé divers mouvements
culturels et artistiques tels que l'Internationale situationniste, le happening,
la Nouvelle
Vague, ou encore l'Art
conceptuel. Le groupe lettriste s'est attaché à toutes les formes de
l'art, y compris le cinéma (Le Film est déjà commencé ? de Maurice
Lemaître , 1951), la danse
(Chorégraphies lettristes, de Maurice Lemaître) et la peinture
(Hypergraphies lettristes, de Isou, Lemaître, Roland
Sabatier).
Mais aussi, sans doute
est-il bon d’incorporer à l’avant-garde contemporaine le Nouveau Roman qui est
un mouvement littéraire des années 1950-1970, regroupant quelques écrivains
appartenant principalement aux Éditions de Minuit. Le terme fut créé,
avec un sens négatif, par le critique Émile Henriot dans un article du journal le Monde du 22 mai 1957, pour
critiquer le roman la Jalousie, d'Alain Robbe-Grillet. Ce mouvement précède de
peu la Nouvelle Vague.
Dans
Pour un Nouveau
Roman, édité en 1963, Alain Robbe-Grillet réunit les essais sur la
nature et le futur du roman. Il y rejette l'idée, dépassée selon lui, d'intrigue,
de portrait
psychologiques
et même de la nécessité de personnages, ainsi « le roman n'est plus l'écriture d'une aventure, mais l'aventure
d'une écriture. » (Jean Ricardou)
Seconde
ou deuxième avant-garde ?
Le mouvement d’avant-garde
est-il éteint ? S’arrête-t-il à la Seconde avant-garde ou n’était-ce qu’une Deuxième
avant-garde à laquelle succèdera une Troisième ?
Il semble en effet bien difficile d’imaginer un art sans rupture,
sans avant-gardisme…
« L'humanité
a besoin de sublime.
Le
sublime du sublime, c'est l'art.
Le
sublime de l'art, c'est l'avant-garde. »
(Roland
Topor)
A
vous de juger…
Mathieu Duchêne